Albédo : les premières lignes


 

Jamais je n’aurais imaginé marcher sur une plage en hiver. Mais Mock est capable de tout. Nous avançons côte à côte sur le sol instable. D’une main, je tiens mon col relevé, tandis que l’autre, blottie dans ma poche, se prépare à prendre le relais. Mock paraît bien moins sensible : même rougis par le froid, ses doigts s’agrippent sans faiblir autour de l’urne qu’il transporte depuis le matin. Brusquement, il bifurque vers les vagues. Je m’arrête.

J’ai le nez en ruine, les yeux dégoulinants et du sable plein les chaussures, mais de toute évidence il s’en fout. À moins que le vent l’ait empêché de m’entendre… Il vient d’atteindre la limite de l’eau ; il se retourne ; nos yeux se rencontrent et malgré la distance, je crois bien que les siens ne montrent que de l’indifférence. Il reporte son attention vers le large. Je crains le pire. Pour me contenir et essayer d’oublier le lieu et la saison, je me mets à compter les secondes. Je fais le pari qu’il va se mouiller les pieds avant une demi-minute. On verra bien. Lui, en tout cas, n’a pas l’air de s’en soucier. Il reste exactement là où il s’est posté, dressé comme un phare, trop terne et trop petit pour être utile à quiconque se serait perdu sur cet océan sans horizon. Et le temps lui donne finalement raison de ne pas reculer, car ce sont trois bonnes minutes qui s’écoulent avant qu’il se passe quelque chose – sans aucun rapport avec ce que je redoutais : les pieds toujours secs, Mock incline la tête, courbe le dos, plie les genoux et s’accroupit. J’arrête de compter. Il vient de déposer l’urne devant lui. Il pose sa main gauche sur le couvercle et – j’ai du mal à le croire au début, mais c’est pourtant bien ce qu’il fait – il lui parle. Je n’entends pas sa voix et ne vois même pas ses lèvres, mais ses mouvements ne laissent aucune place au doute : il hoche la tête, la penche, la redresse, porte le regard d’un côté, puis de l’autre, brasse l’air de son bras droit tendu, visant tel ou tel point de la côte ou englobant des portions plus larges du paysage dans de grands gestes circulaires. Un peu comme s’il décrivait les charmes de l’endroit à un ami qui viendrait d’arriver pour quinze jours de vacances. Sauf que nous sommes en février, qu’il ne fait pas plus de deux degrés, que la plage est parcourue de rafales à culbuter les dolmens et que le destinataire des paroles de Mock n’est rien d’autre qu’un malheureux pot en céramique rempli de poussière grise. Je fais demi-tour et vais me réfugier dans la voiture.

 

Photographie : Congwong Bay Beach - Australia - By Matthew Kane (Fragment)



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